Durant les premiers siècles du christianisme, dans l’Empire romain, les chrétiens subissent des vagues de persécutions, sporadiques ou générales selon les périodes. En effet, ils refusent les cultes aux dieux des cités et le culte à l’empereur, à cause de leur foi en Jésus-Christ, et vont jusqu’au martyre pour pour lui rester fidèles. Tout bascule avec la décision de l’empereur Constantin en 313 : l’édit de Milan accorde la liberté de culte à tous les habitants de son empire.
Une spiritualité d’hier ?
Un siècle avant, dans la seconde moitié du III e siècle, des chrétiens s’engagent dans une voie encore nouvelle : la vie monastique, comme une autre forme de martyre. Des hommes et des femmes, en quête d’absolu, attirés par une vie de prière, d’ascèse et de partage, partent au désert, à l’école du Christ. Ainsi, le désert de Scété, en Égypte, se peuple de ces moines ou moniales qui vivent la vie cénobitique (en petites communautés de disciples autour d’un maître) ou la vie érémitique (seuls), pour les plus avancés dans la vie spirituelle. Ce mouvement monastique, entraîné par l’exemple de Saint Antoine le Grand, connu pour son combat contre les « tentations », sa douceur et son humilité, s’épanouit aux IV e et V e siècles.
Les plus avancés dans la vie spirituelle sont « pères » et « mères », « abba » et « amma », comme saint Macaire, saint Jean Colobos, saint Poemen ou sainte Synclétique. En effet, ils engendrent à la vie spirituelle des moines et moniales débutants qui viennent leur demander conseil : ceux-ci reçoivent alors une courte parole inspirée qui les guidera et qu’ils méditeront. Parfois, le père spirituel, « un vieillard », ne répond pas ou répond par un geste, à interpréter comme une parabole. Ces petites sentences ou histoires sont les apophtegmes. Leurs auteurs n’ont pas laissé d’écrits, ce sont leurs disciples qui les ont recueillis, pour les générations suivantes. La collection des apophtegmes est structurée par thèmes, par exemple la maîtrise de soi, l’humilité, la charité…
Une spiritualité pour aujourd’hui !
La spiritualité des Pères du désert a été transmise de manière ininterrompue en Orient, dans les Églises orthodoxes, popularisée sous la forme de petits ouvrages, comme le Pateric dans le monde orthodoxe roumain. En Occident, bien que le mouvement monastique né en Égypte soit aussi la source du monachisme occidental, les Apophtegmes ont fait l’objet d’une redécouverte récente, comme en témoignent de nombreux livres comme celui d’Anselm Grün, un moine bénédictin, Le ciel commence en toi, La sagesse des Pères du désert pour aujourd’hui (Éditions Salvator, 2013). En effet, cette spiritualité correspond à un besoin des hommes et des femmes d’aujourd’hui, déroutés, voire tourmentés, dans un monde de sollicitations diverses, et qui recherchent le chemin de l’intériorité. Car les Pères du désert sont des spirituels « pragmatiques » : ils s’avèrent de fins psychologues et expérimentent des méthodes de libération intérieure pour mieux faire place à Dieu dans leur vie, à sa Paix et à sa Joie.
Plonger dans la lecture des Apophtegmes n’est pas ardu. Comme les disciples d’abba Antoine ou d’amma Sarra, nous pouvons méditer, pendant un jour, une semaine ou un mois, un apophtegme, un seul, celui qui touche juste notre âme assoiffée, pour avancer à l’école du Christ, doux et humble de cœur. Avant de passer au suivant… En voici deux : une sentence et une historiette. Abba Antoine dit : « Moi, je ne crains plus Dieu, mais je l’aime, car l’amour chasse la crainte. »
Il y eut une fois une réunion à Scété, où les pères parlèrent d’un frère qui avait péché. Mais abba Pior garda le silence. Ensuite, il se leva, sortit prendre un sac qu’il remplit de sable et le porta sur son dos ; et, mettant du sable dans une petite corbeille, il la porta par-devant. Les pères lui ayant demandé ce que cela pouvait signifier, il dit : « Ce sac qui contient beaucoup de sable, ce sont mes fautes : elles sont nombreuses, mais je les ai laissées derrière moi, puisque je ne me donne pas de mal pour les pleurer. Et la petite corbeille que voici devant moi, c’est les péchés du frère, et je m’en occupe en jugeant mon frère. Mais il ne faut pas agir ainsi, mais plutôt porter devant moi mes fautes et m’en préoccuper et supplier Dieu de me les pardonner. » En l’entendant les pères dirent : « Vraiment, c’est là la voie du salut. » (IX, 13).
À votre tour, vous pouvez vous constituer votre petite collection d’apophtegmes…
Bibliographie :
Les Apophtegmes des Pères, Éditions du Cerf, 1993. Traduction : Jean-Claude Guy. En trois volumes.